D'abord, un gros merci aux auteurs de ce billet: Martine Rousseau et Olivier Houdart qui sont aussi les correcteurs du site du Monde. Je suis heureux de constater que je ne suis pas seul à me préoccuper de l'usage du français en informatique. Depuis deux ans, j'ai eu quelques échanges avec mes collègues français et québécois sur l'usage du terme anglais MOOC qui est l'acronyme de Massive Open Online Course.
En tant que Québécois, sans cesse confronté à l'envahissement de termes anglais, je crois qu’il est important de trouver des néologismes pour désigner les concepts nouveaux afin de se les approprier et pour ne pas reléguer la langue française au rang de langue folklorique. Je m'explique...
Un peu de linguistique des néologismes
En matière de création de mots nouveaux ou néologismes, il y a trois approches :
- Emprunt direct du mot étranger
- Emprunt avec une adaptation le plus souvent phonétique : bug devient bogue
- Création d'un néologisme : courriel, pourriel, clavardage ou baladodiffusion abrégée en balado
Au niveau de la prononciation, j'ai remarqué que les Québécois préfèrent prononcer un mot anglais à l'anglaise donc « mouc » pour mooc et « zou » pour zoo alors que les Français auront tendance à prononcer à la française « moc » pour mooc et « zo » pour zoo. Cela dit, si je me rappelle bien de mes cours de phonétique, nous devrions prononcer « mo-oc » pour mooc et « zo-o » pour zoo.
Le problème des emprunts survient à dose massive et à long terme. On assiste petit à petit par tous ces emprunts à la création d'un dialecte « franglais » porteur de la modernité et de la « branchitude ». Ainsi, la langue française deviendra petit à petit « ringarde » et incapable de communiquer les nouvelles réalités de la technologie et de la science. C'est important pour la langue française qu'elle continue à être utilisée dans tous les domaines. Sinon à long terme, la langue française deviendra un langue folklorique que l'on réservera à la littérature, à la poésie et aux sorties culturelles.
On risque également que ce dialecte « franglais » devienne rapidement incompréhensible à la fois par les locuteurs francophones et anglophones. En gros, la syntaxe est française avec du vocabulaire, des expressions anglaises et des verbes anglais conjugués selon des modèles français. Par exemple, « Alice a opensourcé le code de son framework avant de le commiter dans le repo. » [Note 1]. À long terme, il deviendra plus simple de parler en anglais et l'assimilation sera complète.
CLOM, un terme équivalent?
Il existe pourtant un terme équivalent en français pour MOOC, le « CLOM », pour « cours en ligne ouvert et massif ». Je conçois qu'on puisse ne pas apprécier la prononciation du mot CLOM, surtout au premier abord. Bien entendu, le cours en ligne va de soi, mais l'ouverture (la gratuité) et l'aspect massif (car des milliers d'étudiants peuvent suivre un cours en même temps) demeurent distinctifs du concept. CLOM semble donc traduire fidèlement le concept sous-jacent.
En effet, sans les aspects ouverts et massifs, un CLOM devient un simple « CL
CLOM, le meilleur équivalent?
On peut être d'accord pour trouver un équivalent, mais encore faut-il respecter la nature de ce que l'on cherche à nommer.
Par exemple, l'acronyme « CLOT » proposé par Légifrance pour « cours en ligne ouvert à tous » est à la fois paradoxal (ouvert ou clos ?) comme le font si justement remarquer les correcteurs du « Monde » mais CLOT reste également muet sur l'aspect massif du concept.
De même, le mot « FLOT » pour « formations en ligne ouvertes à tous »(proposé par le portail OCEAN) m'apparaît bien joli, mais malheureusement ambigu, ce qui est un gros défaut en matière de terminologie. De plus, comme CLOT, le terme FLOT escamote le caractère « massif » qui est central au concept de CLOM.
Rappelons que comme la plupart des outils du Web 2.0, la partie invisible des CLOM est la collecte des données sur le comportement des étudiants. On parle ici de l'analytique d'apprentissage (en anglais learning analytics) et du traitement de données massives (en anglais big data) dont les résultats serviront à améliorer les CLOM de la prochaine génération.
Les CLOM avec leurs milliers d’étudiants permettent d’utiliser des méthodes statistiques pour détecter les problèmes et améliorer l’enseignement. On peut également utiliser des techniques d’apprentissage statistique (en anglais machine learning) pour découvrir des situations (en anglais patterns) communes aux étudiants qui ont des difficultés afin de leur présenter des indices ou des explications pour les aider. On verra donc émerger des façons de personnaliser finement l’enseignement à chaque étudiant d’une manière telle que l’on a tout simplement ni le temps, ni les moyens de faire aujourd’hui. C'est la promesse offerte par le caractère massif des CLOM. On reconnaît là une pratique courante du Web 2.0 « à la Google » qui consiste à exploiter les données de ses millions d’utilisateurs pour améliorer les résultats de son moteur de recherche.
Le lecteur de ce billet aura remarqué l'inclusion des termes techniques en anglais entre parenthèses à côté de leurs équivalents en français et ceci au moment de leur première utilisation dans un texte. Bien que cela puisse sembler un peu lourd, cela m'apparaît une bonne manière de transmettre la nouvelle terminologie. J'espère ainsi contribuer à montrer que la langue française est bien vivante et capable de décrire la réalité technologique.
Je serais porté à dire que l'usage et la création de termes en français nous force à approfondir et à comprendre davantage la technologie. Traduire c'est comprendre, bien traduire c'est bien comprendre. C'est pourquoi les meilleures traductions viennent souvent de spécialistes du domaine technique considéré plutôt que de traducteurs professionnels.
Décolonisons nos cerveaux!
Certains reprochent à CLOM de ne pas être assez élégant ou évocateur. Est-ce que MOOC est plus élégant ou plus évocateur? Je ne crois pas...
Aussi, les créateurs de néologismes en langue anglaise se soucient peu de la rigueur et ne font pas usage des racines grecques ou latines. Ils créent des termes au petit bonheur, en espérant que les autres vont les adopter par paresse ou effet de mode. C'est un peu comme pour la malbouffe (en anglais fast food), ça manque de raffinement mais c'est vite et pratique. Mais cela n'est pas une raison pour se nourrir uniquement d'hambourgeois, comme on dit chez nous.
Malheureusement, ce sentiment ou plutôt cette gêne à employer un mot français illustre également que nos esprits sont déjà colonisés.
Cela me rappelle ma gêne d'enfant à utiliser l'expression « beurre d'arachide » au lieu de « beurre de pinottes ». Pire encore quand à l'adolescence, j'ai pris conscience que j'étais incapable d'exprimer mes sentiments dans ma langue maternelle. À l'époque, j'éprouvais un malaise insurmontable à dire « Je t'aime » alors que « I love you » était bien plus facile.
De plus, au plan de la psychologie collective, avec l'usage de termes exclusivement en anglais, la science et la technologie deviennent peu à peu étrangères, ce qui n'aide pas l'appropriation et l'invention. La science et la technologie sont trop importantes pour les abandonner à la seule langue anglaise. Sans compter, l'appauvrissement culturel que cela représenterait pour l'humanité.
Sans vouloir faire trop de psychologie ou de sociologie à deux sous, je vois là de purs réflexes de colonisés. Assumons notre identité et affirmons notre différence linguistique que diable!
Le mal français ou le culte du « franglais »
En France et à un moindre degré au Québec, on constate un mal pernicieux qui gangrène notre langue et notre culture. C'est le culte du « franglais ». On ne peut que déplorer le glissement vers un franglais pseudo-branché d'une certaine élite pour qui la modernité ne peut s'exprimer qu'en anglais. On emploie le franglais pour faire « branché », « européen » ou « international » dans les médias et particulièrement en publicité.
Vu du Québec, l'archétype de ce glissement au franglais est la désignation « FUN » pour l'initiative France université numérique!
Pourtant peu de Français parlent anglais. La plupart de ceux qui prétendent avoir un bon niveau en anglais sont généralement incapables de tenir une discussion ou de faire une présentation en anglais.
L'emploi de mots anglais est souvent perçu comme un « langage d'initiés » ce qui lui confère un statut exclusif et fort apprécié. Il est grand temps de faire un examen de conscience et de se décomplexer.
Avant tout, une question de volonté - l'exemple de l'Islande
Les Islandais l'ont bien compris, eux qui sont à peine plus de 300 000 à partager une langue unique. Dès qu'un mot étranger fait son apparition, un équivalent islandais est proposé qui finit par s'imposer au bout de quelques années. Les Islandais ont une conscience aiguë de l'importance de la langue dans leur culture et leur identité.
Il ne viendrait à l’esprit d’aucun Islandais de dire: « Il est trop tard », « Le pli est pris » ou « Il n'y a rien à faire ». Serons-nous les « néo-pétainistes » de la langue qui abdiqueront devant l'envahissement de l'anglais? Bien sûr que non, car nous sommes fiers et combattifs!
Faisons le choix de la créativité et de l'effort
La langue française ne mérite-t-elle pas qu'on fasse preuve d'un peu de créativité? Comme beaucoup de Québécois, bien enracinés dans le « Nouveau monde » où l'anglais domine et assimile, faisons le choix de la créativité et de l'effort pour que la langue française non seulement survive mais s'épanouisse dans le monde technologique, notre « Nouveau monde ».
Il n’est pas trop tard pour corriger le tir et imposer CLOM ou un terme équivalent, ce n’est qu’une question de volonté.
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[Note 1]: « Alice a libéré le code de son socle d'applications avant de l'archiver dans sa base de code. » Un peu plus long je concède mais beaucoup plus clair. Un texte en français est en moyenne 1.4 fois plus long qu'un texte équivalent en anglais.
[Note 2]: Même chose pour MOOC qui devient «